Epidermic

QUATRE ARTIST-RUN SPACE, Rennes, 2023.
Exposition collective.

Installation a dimension variable, technique mixtes, (céramique, tissus)

Epidermic est une exposition collective signée par Charlotte Delval et Louise Rauschenbach.
Elle résulte de la première résidence « Break » organisée par le QUATRE ARTIST-RUN SPACE et ayant eu lieu en juillet et août 2023.

Tout au long de notre existence, l’épiderme demeure un marqueur. Il changera de teinte en réagissant aux fluctuations de température et aux inconforts occasionnels. C’est à travers lui que s’échapperont nos fluides les plus intimes, transpirations, sang et pus. S’il nous enveloppe et nous protège, c’est aussi lui qui s’altère le plus vite. Lorsque l’on meurt, il se ternit, se nécrose et pourri. Nos corps morts deviennent alors autre chose, ils s’enterrent et se décomposent, ils se brûlent et se rangent dans des urnes créées pour l’occasion.

Aborder la mort, c’est souvent imaginer l’après, tout du moins sa potentialité. C’est pourquoi la première installation de Louise Rauschenbach convoque le mythe antique de Charon, le passeur des enfers qui moyennant une pièce d’or nous permet de traverser le Styx et rejoindre le royaume des morts. Un Styx sur lequel flottent des nénuphars pourvus de doigts crochus prêts à saisir qui s’y pencherait de trop près. Faut-il rappeler que ce plongeon s’il survenait, serait irrémédiable ; car le Styx est lui-même composé d’autres affluents que sont le fleuve du chagrin, le torrent des lamentations et le ruisseau de l’oubli. Sur les berges de celui-ci, sur le sol et les parois auraient alors poussé les sculptures en savon de Charlotte Delval. Ces dernières ressemblent à des espèces vivantes, vivaces et invasives. La matière qui les compose revêt l’apparence d’une membrane, parfois suintant. Elles poussent, croissent et forment un décor-monde irréaliste. Un coquillage Vénus aux cheveux blonds, des langues duveteuses au bout desquelles pendent parfois des boucles d’oreilles devenues piercings. Autant de formes, accessoirisées, souvent sexuées dont on soupçonne qu’elles attendent de se reproduire. Elles pourraient tout autant être le dernier reflet des corps qu’elles auraient vu passer, s’être nourri d’eux et de leurs biens, car à d’autres égards, elles évoquent des objets du passé. Ne serait-ce pas ces âmes voyageuses, en route vers les enfers, qui s’en serait délesté avant d’embarquer ? Car certaines d’entre elles, ont été formellement inspirées par des céramiques antiques, et Charlotte Delval nous les ressuscite sous une version éphémère et fragile, témoins amaigris de leurs anciens usages, mais pour autant toujours aptes à jouer leurs rôles de réceptacles.

Epidermic pourrait donc être le nom de ce nouveau territoire esquissé par les artistes. Ce lieu où il serait question d’abandonner nos vieilles peaux comme on se délaisse de nos oripeaux. C’est d’ailleurs ce dont il s’agit plus loin, lorsque l’on tombe sur ce corps en céramique à moitié allongé réalisé par Louise Rauschenbach. Ce personnage s’est-il lui-même délesté de ce corps trop lourd ou est-il mort d’avoir touché ou senti l’une des sculptures qui l’entoure ? Par chance, on échappe à l’odeur de cadavre en décomposition pour sentir, par effluve, celle du savon. C’est ainsi que le dialogue entre les œuvres se jouent de nous. Elles se complètent mutuellement, dépossèdent et s’approprient des éléments que l’on penserait constitutifs de l’une pour les associer à l’autre. Un corps mort devient une céramique lisse, brillante, et un vase antique se voit affublé de reste capillaire et d’une surface organique, grouillante. Autant de tricks qui nous rappelle « l’inquiétante étrangeté » formulée par Freud.

Ne garder que l’épiderme c’est aussi concevoir le corps comme un réceptacle. Le tueur en série Ed Gein dépeçait ses victimes et conservait la peau pour en faire des costumes dans lesquels il venait se lover. Dans les œuvres présentées ici, on s’interroge à notre tour sur les vides et les absences. Sont-ils autant de refuges et d’abris potentiels. La barque est vidée de son occupant et le corps n’est plus qu’une coquille vide. C’est aussi en partie le vide qui définit les sculptures de Charlotte Delval qui apparaissent comme des chrysalides dont l’occupant aurait fini sa métamorphose et aurait quitté les lieux.

En gardant le titre à l’esprit, l’épiderme offre une compréhension des œuvres exposées et des interrelations qui les sous-tendent, mais incite le spectateur à parcourir l’exposition, animé par une question simple et certainement insoluble. Si le vide invite à penser la potentialité et la possibilité, c’est surtout qu’il nous convoque sans cesse. Dans ce dernier, dans les creux et les absences, quelle part de moi puis-je y mettre ?

Vincent Michaël Vallet